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Citizen lambda
16 mars 2010

Nuit et brouillard

Le premier souvenir d'une chanson de Ferrat remonte sans doute à l'âge de cinq ans. Mon père qui avait le même âge que l'artiste a connu une enfance en un point similaire. Un point crucial : l'absence du père condamné aux camps de la mort. L'un était juif, l'autre résistant. Le père de Ferrat y trouva la mort, mon grand-père en revint squelettique, marqué à vie comme le matricule tatoué à l'encre bleue sur son avant-bras. Il en restera à jamais déboussolé.

Aussi, ce fut dès sa sortie que le 45 tours "Nuit et Brouillard" passa sur le pick-up du salon. C'était une sorte de te deum familial qu'on écoutait religieusement, mon père toujours les larmes aux yeux. Les camps nazis lui avait volé son père avec qui il ne devait jamais connaître la moindre complicité.

Quand j'entends cette chanson, je ressens cette émotion qui gonflait les yeux de mon père. Reviennent aussi les récits de Bébert, mon grand-père, qui savait si bien raconter les histoires. Celle de la mouche à qui il avait coupé les ailes et qui, dans sa cellule, fut quelques temps son animal de compagnie. La confection du jeu de dames fait de boules de mie de pain qu'il finit par dévorer. Le bouton ou le caillou qu'il suçait sans cesse pour combattre la soif. C'est ainsi que Bébert nous parlait des camps, avec des anecdotes légères genre roman d'aventure. Il n'a jamais évoqué l'horreur. C'est dans l'énorme livre aux images en noir et blanc qui était dans la commode et que je n'avais pas le droit de regarder que je découvris l'hallucinante barbarie de  Dachau, de Buchenwald ou de Flossenbourg, camps par où mon grand-père est passé et dont il revint en pesant trente-cinq kilos.

A une époque où il est encore est encore dérangeant d'évoquer la déportation, la chanson fut "déconseillée" par le directeur de l'ORTF. Mais Nuit et Brouillard fut diffusée un dimanche à midi sur la première chaîne, dans l'émission Discorama de Denise Glaser et le public suivit. Pour cette chanson Jean Ferrat reçut le grand prix du disque de l'Académie Charles-Cros en 1963.

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